Retour des trésors royaux de la République du Bénin : historique, et perspectives muséales

Le 10 novembre 2021, le Bénin s’est vu restituer par la France vingt-six (26) de ses biens culturels emportés par les troupes de Dodds après les guerres franco-danxoméennes de 1892. C’est donc le lieu de revenir sur les étapes importantes qui ont conduit à cet évènement historique.

Contexte de restitution des trésors royaux d’Abomey

Tout a commencé avec la demande du Bénin le 27 juillet 2016. L’administration Hollande par la voix de son ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault oppose une fin de non-recevoir à la demande du Bénin au nom du principe d’inaliénabilité du patrimoine français. En mai 2017, Emmanuel Macron succède à François Hollande et donne voix au chapitre à la demande du Bénin. Le 28 novembre de la même année à Ouagadougou, il prononce un discours qui restera mémorable dans l’histoire du patrimoine africain : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. »

Par ailleurs, la tâche sera confiée aux universitaires sénégalais Felwine Sarr (écrivain) et française Bénédicte Savoy (Historienne de l’art) d’évaluer la faisabilité d’une telle entreprise. Le 23 novembre 2018, les deux universitaires seront reçu par le chef d’Etat français à l’occasion de la remise de leur « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle. » (Références) Ce rapport préfigure la restitution des biens culturels d’Afrique subsaharienne. Il expose les enjeux, et les difficultés de cette restitution, et enfin propose des solutions pour sortir de l’impasse.

 

Contexte de spoliation des biens culturels africains

En effet, le rapport Savoy-Sarr, dans le cadre du projet de restitution fait état d’au moins 88.000  objets provenant d’Afrique subsaharienne présents dans les collections publiques françaises. Une estimation « très inférieure à la réalité » selon les mots des auteurs. Le Musée du Quai Branly est concerné avec 70.000 pièces dont deux tiers acquis entre 1885 et 1960, soit 46.000 pièces virtuellement concernés.

Les pays les plus concernés sont le Tchad (9 296pièces), le Cameroun (7 838pièces) et le Madagascar (7 590pièces), le Mali (6 910), la Côte d’Ivoire (3 951), le Bénin (3 157), la République du Congo (2 593), le Gabon (2 448), le Sénégal (2 281) et la Guinée (1 997), l’Éthiopie (3 081 pièces), le Ghana (1 656), le Nigeria (1 148), la République Démocratique du Congo (1 428), anciennement belge. Les autres pays d’Afrique australe excepté le Madagascar sont concernés avec 1 692 objets et de l’Afrique de l’Est avec 2 262 pièces.

 

Fig. 1 : Nombre d’objets de l’unité patrimoniale « Afrique » du musée du quai Branly-Jacques Chirac (Paris) enregistrés à l’inventaire des collections nationales entre 1878 et 2018, par provenance géographique, d’après les frontières actuelles. Les anciennes colonies françaises (AOF, AEF, Madagascar) sont marquées en gris.

Source : Carte réalisée par Léa Saint-Raymond, 2018. Tirée de Sarr Felwine, Savoy Bénédicte, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, 2018, p130.

 

Les formes historiques des spoliations et provenance des biens à restituer

Les objets présents dans les collections publiques françaises ont été acquis de différentes manières. Les premières acquisitions ont été faites dans des conditions de guerre (butin de guerre). C’est le cas par exemple du sac d’Abomey en 1892. Le 17 novembre 1892, les forces du colonel Dodds entraient dans la capital, Agbomè. Le roi Bêhanzin avant de prendre le maquis, pris le soin d’incendier les palais royaux ?. C’est dans ces circonstances que les premiers trésors royaux firent objet de butin de guerre et arriveront en 1893 en France.

« Entre 1893 et 1895, plusieurs officiers français, dont Alfred Amédée Dodds, donnent au musée d’ethnographie du Trocadéro une partie du butin de guerre saisi au Dahomey, vingt-sept objets exactement. » Ce sont ces pièces qui font aujourd’hui objet de restitution. « D’autres pièces,  » données  » par d’autres officiers ou leurs familles, sont aujourd’hui conservées dans les musées de Périgueux et de Lyon. »

Fig. 2 : De gauche à droite, les statues de Ghézo, Béhanzin et Glélé au musée d’Ethnographie du Trocadéro, à Paris, en 1894. Gravure extraite de l’article de Maurice Delafosse dans La Nature (1894a).

Source : CNUM. Conservatoire numérique du Conservatoire national des Arts et Métiers. Tirée de Gaëlle Beaujean-Baltzer, « Du trophée à l’œuvre : parcours de cinq artefacts du royaume d’Abomey », Gradhiva [En ligne], 6 | 2007, p5.

 

Les missions d’« exploration » et « raids » scientifiques constituent le deuxième mode d’acquisition. La plus connue est sans doute la mission « Dakar-Djibouti » (1931-1933) sous la direction de Marcel Griaule. Nous citerons également les missions de Louis Desplagnes au cours desquelles 493 objets ont été prélevées dans l’actuel Mali (1903-1904) et au Bénin (1907-1909). Les dons de particulier constituent une autre forme d’acquisition. Nous citerons en ce qui concerne le Bénin, celle de Christian Merlo dans les années 1930 qui concerne « une centaine d’objets de facture majoritairement contemporaine, rassemblés au Dahomey (actuel Bénin), où le donateur fut administrateur. »

Après les indépendances en Afrique, plusieurs objets ont également fait leur entrée dans les collections françaises, le plus souvent sous forme de dons ou d’achats auprès de collectionneurs nationaux ou étrangers. « Le plus spectaculaire de ces achats est sans conteste celui de la  » collection nigériane Barbier-Mueller  » : 276 pièces acquises par l’État français pour 48 millions de francs en 1997. »

Fig. 3 : La statue de Gou à l’exposition temporaire de 1931 au musée du Trocadéro « Ethnographie des colonies françaises ». Au centre, le trône de Béhanzin, au fond les statues de Ghézo et de Glélé.

© musée du quai Branly, photo Rigal.

Source : Gaëlle Beaujean-Baltzer, « Du trophée à l’œuvre : parcours de cinq artefacts du royaume d’Abomey », Gradhiva [En ligne], 6 | 2007, p11.

 

La restitution

La protection du patrimoine français repose sur les dispositions du code du patrimoine (2004) et du code général des propriétés des personnes publiques (CG3P-2006) créant un double verrou. Les collections publiques françaises sont inaliénables, insaisissables et imprescriptibles. Les auteurs du « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » proposent deux solutions basées sur des cas historiques. « La solution la plus simple a été le recours à une loi d’exception, dérogeant aux textes applicables en matière de patrimoine et de domanialité publique. Le deuxième moyen est d’écarter l’application à l’objet considéré des textes sur le domaine public, au motif de sa non-appartenance à la collection du musée. »

En gros, la solution proposée par les rédacteurs du rapport est de contourner les principes d’insaisissabilité, d’imprescriptible et d’inaliénabilité qui sur lesquels repose le patrimoine français, ces objets étant désormais du domaine publique. C’est ainsi que pour le cas du Bénin et du Sénégal, l’Assemblée Nationale française, sur demande du ministre de la Culture Roselyne Bachelot a voté le 17 décembre 2020 « la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal » publiée au Journal officiel le 26 décembre 2020. Les vingt-six (26) trésors royaux d’Abomey ont été rendus au Bénin sur condition de la construction d’un musée d’accueil au Bénin.

A ce propos, 35 millions d’euros dont 10 million en dons et 25 millions en prêt ont été alloué au Bénin par l’Agence Française de Développement (AFD) pour la réhabilitation des palais royaux d’Abomey (palais des rois Ghezo, Glele Gbehanzin, Agoli-Agbo) et pour la construction d’un nouveau musée (Musée de l’épopée des Amazones et des Rois du Danhomè) prévu pour accueillir les vingt-six (26) œuvres après leur séjour au Palais de la Présidence à Cotonou puis au fort portugais de Ouidah.

 

Kolawolé Daniel E. ABIDJO

 

Sources :

– ADANDÉ Alexandre, Les Récades des rois du Dahomey, Dakar, IFAN, 1962.

– ADANDÉ J. C. E., Questions sans réponses dans l’art de cour de l’ancien Danxomè, in Journal de la Société des Africanistes, 1994.

– GLÈLÈ-AHANHANZO M., Le Danxomè. Du pouvoir aja à la nation fon, Nubia, 1974.

– BEAUJEAN-BALTZER G. et alï, Artistes d’Abomey, Catalogue d’exposition, Fondation Zinsou, 2010, 346 p..

– BITON M., Question de Gou, in Arts d’Afrique noire, N°91, 1994.

– BITON M., Le statut de l’artiste dahoméen, un exemple, Akati Ékplékendo, le maître de Gou, Communication au colloque ‘‘Ni anonyme, ni impersonnel’’, 3e colloque européen sur les arts d’Afrique noire, arts premiers.

BEAUJEAN-BALTZER Gaëlle, « Du trophée à l’œuvre : parcours de cinq artefacts du royaume d’Abomey », Gradhiva [En ligne], 6 | 2007, mis en ligne le 15 novembre 2010, consulté le 30 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/gradhiva/987; DOI : 10.4000/gradhiva.987

– SARR Felwine, et SAVOY Bénédicte, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, 2018

 

https://diplomatie.gouv.bj/actualite/136/Restitution-des-biens-culturels-du-Benin-par-la-France-Une-grande-victoire-diplomatique-du-Gouvernement/

https://www.france24.com/fr/20181123-france-afrique-benin-restitution-patrimoine-africain-oeuvres-art-retour-colonies-macron

https://www.france24.com/fr/20191216-biens-culturels-africains-la-france-restituera-au-b%C3%A9nin-26-%C5%93uvres-d-art-d-ici-2021

https://www.france24.com/fr/20190802-restitution-biens-culturels-tresors-royaux-benin-echeance-quai-branly-france

http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1509

https://www.fratmat.info/article/201490/Culture/patrimoine-culturel-africain–les-enjeux-de-la-restitution-au-centre-dun-colloque-a-abidjan

https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2019-2-page-257.htm

https://ich.unesco.org/fr/convention

https://journals.openedition.org/gradhiva/2698

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210606-b%C3%A9nin-la-france-s-engage-pour-la-restauration-de-palais-royaux-et-la-construction-d-un-mus%C3%A9e

 

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