La bombe flotte, elle cigle, elle perfore les pans de murs des capitales africaines depuis les années 1980. Elle marque les rues, dénomme les quartiers, assène des coups de griffes aux endroits les plus insolites, et joue de l’éphémérité du ‘’monde’’ actuel où la notion de permanence n’est que désuète. D’emblée, la rue devient-elle le polygone des signes, des média, et des codes. Elle sert de prétexte au react, somme de desseins revendicatifs, et d’affirmation de son appartenance à la ‘’cité’’. Support à des créations hautes en couleurs dans lesquelles les figures marquantes de l’histoire du continent noir sont mises en branle, la bombe se pare également de ce statut de médium par excellence des graffeurs, et autres streetartistes africains. Les graffitis, dont les prémices remontent à l’art pariétal, portent les empreintes de cette bombe, et laissent transcender des histoires de vie, et de rue.
Seencelor Labombe : Marquages, et dénominations
La quête de singularité dans les lettrages se meut, le graffeur devient alors un vecteur de continuum visuels identitaires. « Émeute des signes » selon l’expression de Jean Baudrillard1, le graffiti prend même dans l’ère contemporaine des habits de révolte et de contestation. Et pourtant, cette pratique a des racines dans une histoire plus longue. Ses premières apparitions suivent par exemple les pas du scribe égyptien Neb sur son trajet vers la Nubie, ou peuplent les murs des édifices mayas. On les retrouve sur les fresques de l’oratoire d’Arborio, en Italie, où ils prennent la forme des chroniques du village, narrant les épisodes majeurs d’une histoire collective. Ils parsèment les routes de l’Ouest américain comme les murs des églises et des tavernes2.
A Cotonou, capitale du graffiti en République du Bénin, la scène du Street Art est en perpétuelle mouvement depuis les années 2000. Des tags sommaires, et monochromes qui étaient pour la plupart de l’ordre du vandale, le graffiti va se constituer en une typographie tacite3, qui l’inscrive davantage dans le champ des pratiques artistiques inhérentes au paradigme de l’art contemporain béninois. Coulures de peintures, insurrections de signes, de blaze ; les murs de Cotonou racontent les réalités de son cosmopolitisme, et les aspirations des graffeurs qui y ‘’crèchent’’. Distik, Stone Was Here, Dr No, Feedjros Angeles sont autant d’inscriptions que portent les rues cotonoises ; des inscriptions qui tiennent lieu de signature à des graffeurs comme Stone, Dr Mario, Distik, ou encore Seencelor Labombe.
En effet, Seencelor Labombe4, est de la trempe de ces graffeurs africains qui tendent à accorder une place de choix aux histoires qu’ils mettent en veine dans leurs graffs. Il vit à Cotonou, au Bénin, où il travaille. Comme ses confrères graffeurs africains, ses streetcréations se veulent canaux à des récits rupestres ancrés de mythes, de légendes, et d’histoires qui racontent l’Afrique. Car voyez-vous, le graffiti africain est d’abord un objet culturel. Il vise à sensibiliser sur les problématiques sociétales inhérentes aux peuples africains, à porter, ou à faire porter les visages d’illustres figures africaines à des quartiers, à des rues, et partant, à des villes.
Ainsi, les figures que Seencelor Labombe laisse survivre dans ses graffs soulignent-ils son incommensurable affect pour le détail, pour l’épuration de ses lettrages, qu’ils soient en bubble style, en bloc letter, ou en wildstyle. Sans se lasser, en monomane, il ira jusqu’à rebaptiser Fidjrossè, un des quartiers les plus représentatifs du Street Art cotonois, Feedjros Los Angeles. Il ne se limite point à taguer les ruelles de la ville de Cotonou de son blaze, et de son langage visuel, il entend créer un musée à ciel ouvert par le biais de cette nouvelle dénomination. Pour qui relèverait d’un désir d’occupation de l’espace urbain en le rebaptisant au gré de ses œuvres, au gré de ses couleurs, au gré d’un eldorado visuel qu’il voudrait voir émerger, pour d’autres servir de ferment à une bride sémiocratie. Dans ses graffs épris de visages humains, de bulles, de lettrages de divers styles, Seencelor n’aura guère omis d’insérer ses interrogations sur des phénomènes sociaux récurrents : la violence faite aux femmes, les agressions sexuelles sur les jeunes filles, le changement climatique, et la préservation du patrimoine culturel africain.
Vers la peinture : du mûr pour la toile
Influencé par le mouvement hip hop dès ses débuts, son langage visuel et conceptuel s’appuie sur une iconographie résolument urbaine, des tags et autres typologies de graffiti constitueront ses premières productions plastiques. Au travers de ses streetcréations, Seencelor labombe met en branle les attributs contestations du graffiti, la rue comme support, les murs comme matière de travail. « Ses lectures, ses voyages et ses rêves, les femmes, et les rues nourrissent son regard »5.
Néanmoins, loin de se confiner dans les carcans du Street art, il tend à explorer une autre branche de l’écriture plastique, celle picturale. C’est dans cette veine qu’il aime souligner : « Commençant par la calligraphie par le truchement du Street Art à Lomé, et étant graffeur dans l’âme, la peinture a été pour moi la seconde matière intégrée à ma production ». Ses toiles, qui oscillent entre l’impressionnisme et l’expressionisme, dépeignent, dénoncent, et captent bien de fois les pérégrinations émotionnelles de ses contemporains. Des couleurs, et aplats de peintures, Seencelor labombe fait naître l’émotion.
Steven Adjaï
1 Jean Baudrillard (1929-2007) est un philosophe français théoricien de la société contemporaine, connu surtout pour ses analyses des modes de médiation et de communication de la postmodernité. Son article intitulé Kool Killer ou insurrection par les signes fait office de référence pour l’étude des graffiti contemporains de New York.
2 Extrait de l’édito du commissaire de l’exposition « Histoire(s) de graffitis » Laure Pressac au Château de Vincennes (6 juin au 11 novembre 2018), Paris, France.
3 Throw up, fresque, master piece, light graffiti…
4 La sincérité qui le caractérise, et le chant des oiseaux aux aurores font office d’origine à son blaze.
5 Fabiola Badoi