La démarche est avant-gardiste : écorchée, marquée, bombée à même le sol pour y incruster des fresques imposantes sous le prisme d’une peinture écoresponsable alliant la craie, le charbon, et la protéine de lait comme fixatif. Guillaume Legros, SAYPE – son blaze -, un street-artiste franco-suisse, était au Bénin pour la 10ème étape de son projet « Beyond Walls ». Les villes de Ouidah, et Ganvié ont ainsi vu émerger de la terre de grandioses mains entrelacées. A cette occasion, SAYPE nous a accordé une entrevue.
Qui est SAYPE ? Veuillez-vous présenter.
Je m’appelle SAYPE, j’ai 32 ans, je suis français d’origine, mais je vis actuellement en Suisse. Je suis artiste.
Pourriez-vous nous entretenir davantage par rapport à votre projet « Beyond Walls » ? Quel ont été les ferments d’une telle initiative ?
Bon, c’est une histoire qui est un tout petit peu longue mais finalement je dirai que le premier constat, c’est de constater que l’art peut modifier les lignes. Il est un puissant vecteur émotionnel, de communication, et a toute sa place sur le débat des idéaux. D’ailleurs, mon expérience me montre – dans mon travail – que l’art peut parfois changer les lignes jusqu’à dans la vie politique. Je pense qu’il est un langage universel. Je le trouve hyper intéressant en ce sens qu’il peut casser complètement les barrières de la langue, et être compris à peu près par tout le monde. C’est quelque qui est assez fort.
La deuxième chose à dire par rapport à « Beyond Walls » est qu’en 2019, j’ai suivi un documentaire sur le budget du mur promu par Donald Trump, et ça m’a beaucoup fait réfléchir sur le fait que toute une partie de la population imagine que créé des murs entre les gens ou se replier sur soi est une solution en soi. Et moi je pense que nous vivons est un monde hyper connecté et que toutes les solutions qu’on doit trouver, que se soient sociales, économiques, et écologiques, doivent être trouvé ensemble. D’où l’idée de créer symboliquement la plus grande chaîne humaine au monde. Donc c’est ce projet que j’ai appelé « Beyond Walls », au-delà des murs, et l’idée justement c’est de créer sur plusieurs années symboliquement cette chaîne. C’est un projet qui est itinérant, qui se déplace de villes en villes, et pour ça je peins des mains qui s’entrelacent, qui sont finalement à la fois universelle mais qui dans le fond raconte chacune leur propre histoire.
Quels ont été les enseignements de la 10ème étape de ce projet au Bénin ?
Je ne sais pas si « enseignement » serait le mot que j’utiliserai. En tout cas, c’est vrai qu’à chaque fois, c’est, pour moi et pour mon équipe, parce que nous sommes finalement une équipe qui voyageons à travers le monde, une incroyable aventure humaine. On se confronte à des réalités auxquelles on n’a pas l’habitude de se confronter en occident. On découvre d’autres manières de vivre, d’autres manières de penser et je crois que c’est toute la force du projet. Même si l’art est au centre de ce projet, il a aussi une vocation humaine et sociale : d’un côté on donne des choses, et puis on reçoit en échange, et c’est ça qui me passionne dans ce projet.
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Comment aviez-vous choisi les villes béninoises devant accueillir « Beyond Walls »?
Alors, chaque lieu où je vais travailler, ou chaque étape que je vais choisir dans le projet, j’y vais pour raconter une histoire. Cela rajoute finalement une brique à l’édifice du projet global « Beyond Walls ». Ici au Bénin, il y avait deux choses qui m’ont attirées. La toute première c’était la multiplicité culturelle, et puis la deuxième c’était la sombre histoire de l’esclavage, mais surtout la problématique du comment on peut en parler à la génération actuelle en leur apprenant à gommer un petit peu les cicatrices du passé sans toutefois l’oublier, gommer les cicatrices du passé pour créer un monde lumineux, tous ensemble
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SAYPE, comment expliqueriez-vous/définiriez-vous votre démarche on peut plus singulière: aller au-delà des murs, ou d’une toile pour laisser émerger du sol, de la terre des street-créations ?
Je dirai qu’il y a énormément de choses à dire sur ces aspects. La toute première est que mon travail de fond c’est de créer à un moment donné un évènement, une image forte qui va impacter les gens en impliquant les communautés locales dans le processus final de la création. Cette implication peut se matérialiser au travers de la photo finale qui réunira ces communautés autour de la fresque. Ce qui me permet de les impliquer dans le processus créatif, mais surtout laisser, comme un concert, une marque dans l’inconscient général ou dans la mémoire collective. Ça c’est hyper important pour moi. Justement l’idée c’est de marquer les esprits sans impacter la nature puisque la peinture utilisée dans la réalisation des fresques est 100% bio dégradable et écoresponsable. D’ailleurs j’adore cette idée de pouvoir venir peindre un endroit, de laisser une trace quand même dans les esprits mais pas sur la nature. C’est vraiment tout le but de mon travail, et je trouve ça rajoute vraiment une poésie à l’œuvre.
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On peut remarquer cette hybridation entre le street art et le landart dans vos créations ? A quelle note d’intention répond cette approche ?
Alors je dirais que cela n’a pas été tout à fait volontaire. C’est-à-dire que comme j’ai commencé la peinture en faisant du graffiti, on a associé mes travaux au street art. Quand j’ai voulu me trouver un autre moyen d’expression, parce que c’était mon intention première, je trouvais qu’il y avait énormément de street art, ferment à ce que j’appelle une pollution visuelle des villes, je trouvais que c’était hyper pertinent de trouver un autre moyen d’expression, et comme j’avais la chance de vivre à la campagne, je me suis mis à peindre sur l’herbe. Finalement comme j’avais l’habitude d’utiliser des sprays dans cette dynamique street art, j’ai retrouvé cette approche pour aller peindre sur l’herbe. La grosse différence c’est que j’ai dû passer à peu près une année à développer la peinture afin qu’elle soit écoresponsable. Parce que ce n’était pas si facile que ça de peindre sur l’herbe, ce n’était pas si facile que ça de trouver des produits qui soient naturels. C’est marrant parce que souvent je me défie en disant que je réponds au code à mon du land art. Je pense que je suis assez loin finalement du street art parce que je bosse très peu en ville mais on retrouve quand même une sorte d’hybridation entre le land art et le street art dans mes créations. Ça va un peu dans les deux sens.
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Une chaîne d’union, des mains qui s’empoignent en signe de transmission, et de solidarité. On note dans les iconographies de cette 10ème étape un désir de partage, d’entre-aide, et de résilience. Quelle place occupe les notions de mémoire, de survivance, de résilience, de transmission dans votre production ?
Bonne question. Je dirai que ce n’est pas le propos premier. Pour moi, ce qui m’intéresse très souvent, c’est qu’on avance dans la direction dans laquelle on regarde. Ce qui m’importe, c’est vraiment ce qu’on va faire de notre avenir commun. Et c’est ce que je disais tout à l’heure quand je parlais de ma position par rapport au Bénin. Je pense qu’à un moment donné effectivement on est le suivi de l’histoire de nos ancêtres. Par contre à mon avis, le passé doit nous apprendre à éviter les erreurs de nos ancêtres mais pas de nous empêcher d’avancer. Ce qui m’importe le plus c’est de regarder comment on crée un monde. Je ne sais pas si c’est différent, en tout cas moi personnellement je me dis que c’est nos générations qui doivent créer leur monde comme ils le souhaitent. Et je crois qu’on est dans un monde qui se polarise, je crois que cette crise sanitaire a tendance à rajouter ces inégalités, rajouter cette polarisation. Je crois que c’est important de se positionner par rapport à ça.
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Les œuvres issues de la 10ème du « Beyond Walls » seront-elles permanentes dans l’espace public ?
Alors pas du tout. Justement tout le centre de mon travail, c’est vraiment un travail autour de l’éphémère. Et du coup, ce n’est clairement pas logique que quelque chose reste. Les seules choses qui restent pour moi ? Il y en a deux : l’impact dans les mémoires ou dans la mémoire collective ou dans l’esprit des gens et la deuxième, ce sont les photos qu’on aura réalisé une fois l’œuvre archivée.
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Que pensez-vous de la scène du street art béninois ?
Alors je dois dire que je connais très peu le street art déjà en général mais en plus encore moins au Bénin. J’ai rencontré des jeunes d’Effetgraff qui étaient très sympa avec qui je trouve une belle énergie, une très bonne idée de projet. Donc je trouve ça très sympa. Après ce que je peux dire sur l’art africain en général, c’est que je trouve qu’il a énormément de créativité.
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Avez-vous prévu d’autres projets ayant trait au street art au Bénin ?
Alors actuellement pas. Après je suis toujours ouvert à de nouvelles créations, à de nouveaux projets. Je dois aussi surtout continuer mon projet « Beyond Walls » qui doit continuer à vivre, et à voyager mais après je laisse la porte ouverte évidemment.
La redaction