Spirits Rising ou une ode à l’authenticité africaine

Dans l’art contemporain africain, on note deux tendances fort contrastées: la tendance internationaliste, et celle authentique. La tendance internationaliste1 promeut une création contemporaine africaine imbue d’un esthétisme à caractère mondial, un désir de fondre toutes les pratiques plastiques inhérentes à l’Afrique dans un continuum globalisé. L’exotisme, et l’africanisme triomphant deviennent des concepts caducs, la primeur dans le geste artistique devant permettre une bonne réception des œuvres d’art africain au-delà des stéréotypes2. Quant à la tendance authentique3, elle joue de la résurgence de référents traditionnels africains dans les œuvres d’esprit. Ainsi, l’œuvre d’art africain ne devrait-elle exister qu’au travers de références, et d’approches artistiques connues comme africaines. En effet, ces deux tendances qui s’opposent constituent un ferment à des partis pris esthétiques, et théoriques pour les plasticiens qui s’y identifient. Elles servent également de support à des expositions qui tendent à inscrire davantage dans l’histoire de l’art africain cette bipolarisation de la production contemporaine du continent noir4.

Spirits Rising5, une exposition temporaire de l’agence Erzuli Art consacrée à trois plasticiens contemporains d’Afrique, et des Caraïbes s’est intéressée au vodoun6 sous le prisme de l’art contemporain, et a pris comme pénates la GALERIE ARTES à Paris depuis le 14 septembre 2020. Cette exposition qui intègre les desseins de la tendance authentique de l’art africain contemporain a pour ambition de montrer le rôle de trait d’union que joue le vodoun entre l’Afrique et sa diaspora. Elle souhaite susciter des interrogations sur le regard porté par les artistes contemporains sur ce culte séculaire. Les œuvres –peintures- exposées de Rafiy Okefolahan, Aurel Yahouedeou, et Eric Charles alias EGZO portent les empreintes du vodoun, de ses incantations qui inspirent l’ascension des esprits.

Rafiy Okefolahan, et sa peinture empreinte d’un lyrisme vodoun

A la manière un prêtre vaudou, qui pratiquerait une offrande au fétiche, j’applique des teintes primaires sur de grande toiles ou papiers posés au sol, auxquelles j’ajoute pigments, rouilles, marc de café, sable, huiles, pastels.” Rafiy Okefolahan

Né le 7 janvier 1979 à Porto Novo, Rafiy est un artiste nomade dont le parcours notamment au Bénin, au Togo, au Nigeria et au Sénégal influence les œuvres. Les cultures africaines sont sa principale source d’inspiration.

Originaire du Bénin, berceau du vaudou, et élevé par des parents musulmans et une tante chrétienne, ses créations sont une ode à l’ascension spirituelle. Il explore cet univers syncrétiste pour en restituer aussi bien l’esthétique que le bouillonnement. A mi-chemin entre l’abstrait et le figuratif, ses œuvres interrogent l’existence et le rapport des Hommes au culte vaudou.

Les couleurs y sont vives, le relief subtil et l’expression intense. Elles expriment le souhait viscéral de Rafiy à convertir le chaos en ordre et à transmettre les vestiges du temps présent. De ses toiles se ressent une transe comme si elles oignaient d’incantations au rythme de musique électronique. “Je ne crée pas pour sublimer ou pour plaire. Je crée pour surprendre, pour interroger, pour bousculer. Tel un illusionniste, je me plais à repousser les limites du surréalisme afin de faire migrer le spectateur de sa zone de confort.”

Rafiy OKEFOLAHAN

Avocê, 150cm x 120cm – 2020

Acrylique, huile et marc de café sur toile

La quête identitaire d’Aurel Yahouedeou

Né le 8 août 1994 au Bénin, Aurel Yahouedeou vit et travaille au Sénégal. Il fait partie de la jeune génération d’artistes africains qui créent en symbiose avec leur époque.

Ses œuvres de style figuratif parfois empreintes d’anamorphose sont le fruit d’une technique mixte combinant dessin digital et photographie numérique. Profondément influencé par le surréalisme, il fait de la vue, son terrain de jeu, en créant une interaction entre le réel et le virtuel, entre son vécu et ses fantasmes, dans le but de susciter des questions existentielles. Ses créations sont au croisement de l’art urbain et du photocollage. Elles interrogent sur la condition humaine.

Beaucoup de béninois recourent au culte vaudou en cas de difficultés. C’est à cette situation qu’Aurel s’intéresse dans sa série “Spirits Rising”. Les pièces de cette série sont une oraison aux divinités et esprits vaudou. Elles questionnent le rapport entre l’homme et les esprits surnaturels.

Aurel YAHOUEDEOU

Mawu Lissa, 90cm x 60cm – 2020

Impression sur Alu dibond

Parce que les loas m’inspirent : ERIC CHARLES alias EGZO

J’entends sur le toit de ma boite, un bruit de câble. C’est un exercice familier pour les loas. C’est un fouet claqué par les loas, rendant ardue la tache de la main d’œuvre attaquant la cité d’or. Influencé par la couleur le message est clair. Les vermillons, les orangés, les jaunes, les violets et les bleues crues. Les blocs et les juxtapositions constituent la première consécration. Rouge, Blanc, Noir.” Egzo

Artiste pluridisciplinaire, Eric Charles alias Egzo est à la fois plasticien, interprète, compositeur, et producteur de musique. A l’image de Kandinsky et de Mondrian, ses œuvres ont une forte corrélation avec la musique. Né le 12 septembre 1980 en Guadeloupe d’un père haïtien et d’une mère Guadeloupéenne, il s’est installé à Paris depuis ses 20 ans.

Imprégné de ce cosmopolitisme, son travail à fort relent spirituel, interroge la place de l’humain dans le cosmos, et son rapport à la vie et à la mort. Il travaille avec des matières recyclées et prône une éco- responsabilité dans les créations artistiques.

Pour l’exposition Spirits Rising, il présente des œuvres réalisées en collaboration avec l’artiste britannique Pablo Malick. Ces œuvres sont des collages, des techniques mixtes et des peintures. Elles portent les stigmates de ses obsessions, notamment en ce qui concerne le rapport entre le monde des vivants et le monde surnaturel.

ERIC CHARLES alias EGZO feat PABLO MALIK

Vodoo call , 23cm * 35cm – 2020

Acrylique, feutre sur bois et collage

Spirits Rising se poursuit jusqu’au 20 septembre 2020.

Steven ADJAÏ

1 Des collections comme la collection Hans Bogatze qui illustre fort bien la tendance intentionnaliste.

2 Dans le paradigme occidental, la réception des œuvres d’art africain a porté bien de fois les empreintes de la théorie des races, et de l’évolution technique qui serait intimement liée à cette dernière.

3 La collection Jean Pigozzi fait office d’archétype pour qui est de la tendance authentique.

4 Magiciens de la Terre (Centre Georges-Pompidou et à la Villette, Paris, 1989), Contemporary African Artists : ChangingTradition (New York, 1990), Africa Explores the 20th Century (Museum for African Art, New York, 1991), Africa Hoy (Las Palmas, 1991), Seven Stories about Modern Art in Africa (Whitechapel Art Gallery, Londres, 1995), An Inside Story : African art of our time (Tokyo, 1995), In/sight : African Photographers, 1940 to the Present (New York, 1996), Crossings (Floride, 1997), L’Afrique par elle-même (Paris, 1998), El Tiempo de Africa (Las Palmas et Madrid, 2000-2001), Independence and Liberation Movements in Africa 1945-1994 (Munich, Berlin, New York, Chicago, 2001), Fault lines (Venise, 2003) etc.

5 Ascension des Esprits.

6 Le vocable « vodou », ou vodoun, et certaines traditions pratiquées par les populations Fon et apparentées ont perduré parmi les personnes réduites en esclavage et transférées des siècles durant aux Amériques et aux Antilles. La littérature et le cinéma ont eu tôt fait de s’emparer de l’aspect parfois sensationnel de ces usages, rendant le mot « vodou » universellement connu.

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